Moule à Fake.
Que je suis naïve ! Je n'avais jamais pensé au Fake !
Au milieu d'un dimanche après midi tout gris, j'ai lu une petite perle, 138 pages tantôt trash, tantôt touchantes. 138 pages où je me suis rappelée bien des moments vécus à l'identique, version fille.
Le gars Minghini, il est un peu plus jeune que votre hôtesse derrière cet écran présente, il a vécu comme tout le monde une rupture qui fait mal dans les tripes autant que dans le cœur, il a commencé à fouiller les sites de rencontres comme tout bon évincé de la génération pixels & Co.
Tu sais, ce moment où les amis ne suffisent plus, mais où l'on n'a pas envie d'en rencontrer de nouveaux.
Ces instants d'entre-deux, entre le moment où tu bois la tasse et celui où tu sens tes poumons s'aérer de nouveau, cet entre-deux où ça fait encore mal d'être vivant, mais pas assez mal pour être mort.
Giulio Minghini, parisien d'adoption et italien de naissance, vient d'avoir la folle idée de nous offrir le premier roman (à ma connaissance) sur les sites de rencontres.
Écrit à la manière de cette époque ; violence des rapports physiques, nuits chaudes mais sans petit déjeuner partagé, nuits de sexe sans amour, nuit de consommation pour se remplir les vides mais pas les cœurs, étreintes presque issues de la porn-attitude, désirs éhontés, passages à l'acte si faciles. Entre la connexion des pseudos sur le site et le premier bouton de corsage qui saute, il peut se passer quelques jours, mais parfois aussi, quelques heures. Ne rien connaître, ou le moins possible de cette autre solitude qui vient nous remplir quelques heures durant. La violence des mots autant que des émotions, c'est bien la réalité de ce marchandising des corps.
Regarde comme il est beau avec ses fleurs en instance celui-là, il attend ... (Chris Blaszcyk, "Desire" ...)
"Comptoir des solitudes électroniques. Des bateaux invisibles, venus de nulle part, déballent chaque jour des provisions de nouveaux inscrits, de nouveaux conscrits."
J'aime cette manière crue qu'il a de démontrer à quel point on s'enferme dans la solitude à force de chercher à la meubler. Cette ironie des prétextes qu'on peut trouver pour éviter une soirée avec des "vrais" amis. Ces nuits blanches qu'on additionne de café ou d'alcool pour tenir le choc des dialogues croisés avec plusieurs personnes à la fois, ne pas se tromper, ne pas mélanger les pseudos, bref, tenir le cap de l'aventure qui va nous ramener à la vie le cœur moins lourd.
"Je m'amuse à contempler les visages de toutes ces jeunes femmes épinglées tel des papillons sur mon écran. Il m'arrive de me demander si l'action d'ouvrir leur fiche - parfois plusieurs fois de suite - engendrée par une simple pression du doigt sur ma souris, ne correspond pas à un début de pénétration."
Au tout départ je trouvais étonnant tout cet étalage de nom d'auteurs, de livres passionnants, je me suis dit "ben dis donc, le gars là, il est drôlement savant -attend, la bibliothéqueuse va quand même te dire qu'elle ne connait pas le Crevel dont le narrateur traduit le livre, pourtant un gars du mouvement surréaliste, mais je vais rattraper ça bien vite- il cite Montherlant, Modiano, Barthes, Daniil Harms, Léautaud, etc ...
Mais en réalité, les sites de rencontres comme celui par lequel il démarre, pointscommuns.com font réellement l'étalage de cette culture acquise ou non, mais qui au moins accroche un internaute, vante des qualités réelles ou pas, place la fiche en tête de gondole du site et permet de démarrer le dialogue. Il parle de ce site comme le réseau des bobos (je comprend maintenant pourquoi je n'ai jamais été emballée par celui-ci tiens !). Alors forcément, lui, avec ses réferences, il doit détonner un peu dans ce joyeux bordel. (Mais ne jouons pas aux éffarouchés, nous connaissons tous l'existence de ces endroits où n'errent pas que les celibataires au coeur en bandoulière, mais un tout autre échantillon de la population qui ne se cache pas puisque j'ai croisé les fiches de deux papas que je vois régulièrement à la sortie de l'école et qui sont des papas mariés.)
Très vite il va découvrir un des vices, que je n'ai pas eu le temps de pratiquer, heureusement, sinon je ne serais jamais sortie de ma perte de confiance en moi, c'est le Fake (l'imposteur, celui qui prend un autre pseudo que celui sous lequel il a séduit, de sorte à pièger sa proie) un jeu où je pense qu'il faut être très fort, très habile, un jeu troublant. Et en lisant cette petite bombe, je me demande ce qu'il en est des blogs finalement. Serions nous trop naïfs au point de confier à des inconnus nos pires fantasmes ? Se pourrait-il que tel blogueur avec qui on a partagé une forte intimité ne se serve de cet atout un jour en jouant les Fake, juste pour le plaisir de la jouissance du piège ? Cette identité virtuelle qu'on croit anonyme ne nous expose t-elle pas encore plus que notre vie dans la mesure où l'on s'ouvre plus facilement ? Et si tout était déjà bien organisé ? hein ?
"Des coeurs et des sexes qu'on réchauffe au micro-ondes virtuel des sites de rencontres. Des "histoires Picard" en quelque sorte : des relations déjà préparées à la dégustation aussi rapide que prévisible, et sans valeur sentimentale importante."
Mr Minghini je te déteste de m'avoir secouée ainsi un dimanche après-midi tout gris !
J'ai cèssé ces sites il y a déjà un petit moment, quand, j'en ai eu marre de n'être qu'un jouet sexuel, ce que j'avais pourtant choisi d'être auparavant. C'est vrai, on ne craint rien quand on décide de jouer, on ne craint au moins pas de souffrir et de se retrouver encore le coeur en miettes ... Et puis comme le dit la quatrième de couv' "on n'est quand même pas là pour rigoler" mais au moins ailleurs on est libre de rêver.
Que j'aime le cynisme de la réalité comme tu le décris Giulio !
"Des nuits entières devant cet écran pour me défaire de moi et en finir avec un passé délabré. Avec ses icônes déjà lointaines"
A la fin du livre j'ai repensé à ces mots de Laura vers Jean dans Les nuits fauves (ce film qui me hante toujours) "Toute cette solitude que j'ai apprise de toi" et Jean un peu plus tard "Je ne suis pas dans la vie, c'est la vie qui est en moi". J'ai repensé à toute cette violence de l'amour, de la solitude dans l'amour qui m'a tant bouleversée alors que j'avais à peine 25 ans et que quelques mois plus tard mon compagnon allait me quitter pour des garçons ... Toute cette solitude qu'on apprend dans les bras inconnus pour ne pas avoir à se fabriquer de nouveaux bras connus. Toute cette solitude qu'on apprend à travers nos vies virtuelles mais qui nous rend riches de ça aussi.
Finalement, comme un palier nécessaire à l'oubli du chagrin, cette période sites de rencontres m'a aussi permis de voir qu'il y a un matin où l'amour nous manque et qu'on est guerri, donc prêt à souffrir à nouveau !
Une autre fois je vous parlerai de "Seul dans le noir" le dernier et fabuleux Paul Auster. De "La pluie avant qu'elle tombe" de Jonathan Coe qui m'a tenue en haleine jusqu'à la dernière minute. Des histoires de filiations, de rapport entre les générations, de très belles histoires.
Et une chanson qui me plait et qui colle complètement à l'air du temps de ce billet, Désolé !